L’automne vient d’arriver (en écrivant ces mots, j’ai la chanson La montagne, de Jean Ferrat, en tête). Oui, depuis hier, c’est censé être officiellement l’automne, mais tout est encore vert et le soleil réchauffe vite l’air du matin. L’été insiste. De ma fenêtre, je vois mes trois poules prendre la clé des champs. Elles passent leur temps à picorer je ne sais quoi un peu partout. L’image parfaite de l’insouciance. Les prédateurs oeuvrent la nuit. Mais l’heure me rappelle à l’ordre et je dois rendre mon article avant la tombée. Il faut que je m’y mette.
Je m’étais promis d’écrire un texte sur la décroissance dans la foulée du cri d’Antonio Guterres : « L’humanité a ouvert les portes de l’enfer ». Ce cri lancé devant l’assemblée générale des membres des Nations Unies n’a rien d’exagéré et il est loin d’être une métaphore. Il mérite toute notre attention et devrait nous être répété chaque matin. Parce que nous sommes en déficit chronique de mémoire. Nous oublions vite les feux de forêt de juin et juillet, les inondations et les vents déracineurs d’arbres.
Il suffit d’un beau matin de presqu’automne pour qu’un espoir fantasmé nous fasse oublier la réalité qui nous a offert, cet été, la bande-annonce du monde à nos portes. Mais c’est dans ces beaux moments d’un matin lumineux qu’une question très philosophique surgit : comment vivre des heures heureuses dans une période aussi menaçante que celle, chaotique, qui s’annonce ? Comment ne pas se sentir coupable de non-assistance de planète en danger ? Et puis, comment intervenir de façon signifiante ?
Nous sommes condamnés à vivre ce paradoxe. Dans la beauté de ce matin et dans le son d’un menuet de Bach que ma fille de huit ans tente de réussir au violon, je dois accepter ce moment de bonheur malgré la tourmente qui guette. Il nous faut faire en sorte que la beauté que nous offre la planète puisse féconder la motivation pour une mobilisation.
La beauté des choses ou, comme le chante Diane Dufresne, la beauté du monde, n’est pas une diversion mais une incitation à l’engagement. Si l’insouciance est belle à voir chez les poules, elle peut être néfaste pour les humains devant les défis actuels.