Un ami est mort ce matin

par Robert Jasmin
Un ami est mort ce matin

Ce matin, [NDLR.: le 12 juillet], un ami est mort. Depuis presque 50 ans, ma vie a été vécue en sa compagnie. Pas tous les jours, mais à chaque fois, pendant plusieurs jours. J’avais toujours hâte à sa prochaine rencontre et je n’ai jamais été déçu. À chaque fois, il m’en apprenait un peu plus sur moi-même et sur la vie. Je lui dois en grande partie de savoir qui je suis. C’est lui qui m’a aidé à formuler les grandes questions qui font de l’existence une aventure.

Des questions telles que : comment une décision naît-elle ? ou comment nos actes s’enchaînent-ils pour devenir aventure ? Il avait sa manière de le dire : «L’aventure est l’enchaînement, lumineusement causal, des actes.» C’est aussi cet ami qui m’a parlé de ces actes qui nous ont échappé et qu’on ne peut jamais rattraper. Ou encore, des choix que l’on fait tous les jours avec l’impossibilité de savoir ce qu’aurait été notre vie si on avait opté pour le choix contraire.

Je m’apprenais à travers la vie des autres, tous ces autres que cet ami me présentait régulièrement et dont je connaissais tous les secrets. Ces autres qui n’ont d’abord existé que dans son esprit puis qu’il a fait vivre sur papier pour toujours. Cet ami qui est mort ce matin s’appelait Milan Kundera. C’était un écrivain tchèque d’origine qui a choisi la langue française pour devenir, selon les mots audacieux du poète Aragon dès la parution de son premier roman, le plus grand écrivain du 20e siècle.

Pourquoi ai-je la prétention de dire que Kundera fut un ami ? Quand on entre dans un livre, on entre chez un ami. Un ami qui, peut nous fait rire mais qui peut, aussi, pour notre plus grand bien, nous faire pleurer. Qui peut nous rassurer ou nous inquiéter. Nous faire rêver, mais tout autant nous faire réfléchir. Ce qu’on demande à un ami, ce n’est pas d’être complaisant mais d’être vrai. Un ami est là pour nous rappeler la vie dans toute son imperfection, donc de sa beauté.

Par ses écrits, l’ami Kundera n’est pas mort. On peut encore l’entendre : «Qui cherche l’infini n’a qu’à fermer les yeux ! «.

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