Une plage avait été créée au bout de la rue cul de sac qui menait à la rivière. Le sable déversé par un lourd camion couvrait les cailloux tant sur terre que dans l’eau. Les enfants y trouvaient leur bonheur les jours de soleil, des jours espérés aussi par les mamans qui aimaient bien faire de la surveillance en se bronzant. L’enfant suivait les autres sur la plage, mais il lui arrivait de leur fausser compagnie pour aller plus loin sur la rive, là où se trouvaient les ruines de ce que l’enfant appelait un port. Il ne s’agissait en réalité qu’un débarcadère en ciment, autrefois couvert, pour abriter le yacht sûrement luxueux du riche propriétaire des lieux dont la demeure n’était plus qu’une photo pour nourrir la nostalgie de certaines personnes du voisinage.
C’est là que l’enfant aimait jouer à l’espion caché qui guettait le débarquement des soldats ennemis. L’enfant, né pendant la guerre, alimentait son imagination à partir des conversations des adultes qui avaient souvent le grand conflit comme sujet. Mais le bord de l’eau, c’était pour les jours de soleil. La pluie aussi faisait le grand bonheur de l’enfant. Il laissait la déception aux autres pour s’installer sur la grande galerie couverte tout juste à l’extérieur de la cuisine. Solidement rivée à un érable centenaire géant à son extrémité, la galerie logeait une grande table pour les repas les jours de beau temps. L’enfant s’y installait en roi les jours de pluie.
C’est là qu’il déposait son attirail pour dessiner : papiers et cartons, crayons de bois et de cire, la panoplie du créateur. Le bonheur de dessiner sous la pluie ne s’explique pas, il se contente d’exister. La pluie tombait et l’enfant dessinait, dessinait. Il éprouvait un grand plaisir à entendre la pluie sur le toit et dans les branches du grand érable et à la voir derrière les larges moustiquaires qui entouraient toute la galerie à demi-mur. C’est là que, sur papier il laissait libre cours à son imagination en dessinant des gondoles et autres yachts exotiques et en oubliant même d’avoir faim. Jusqu’au rappel impératif de sa mère qui, elle, n’oubliait pas la faim des siens. L’enfant pliait alors bagages, jusqu’à la prochaine pluie.
Ce texte est écrit par cet enfant sous le portrait de Gaston Miron qu’il a dessiné longtemps après les jours heureux sous la pluie.