Un philosophe à la friperie

par Robert Jasmin
Un philosophe à la friperie

Ma fille est encore à l’âge où la croissance impose des changements de taille de vêtements annuellement ou presque. Je l’ai donc accompagnée à la friperie dans l’espoir de lui dénicher une nouvelle robe. Pendant qu’elle se livrait à une valse hésitation en faisant glisser les cintres enrobés sur un support, je me suis retiré dans la pièce du fond où l’on peut butiner parmi les disques, les vidéos et les livres. J’y éprouve toujours la curiosité de savoir de quoi les gens ont pu vouloir se débarrasser. Le hasard des trouvailles est le propre d’une friperie. On y entre sans chercher et on trouve.

C’est ainsi qu’à ma grande surprise, en faisant défiler devant mes yeux les titres d’un rayon de livres, je suis tombé sur Le crépuscule des idoles de Friedrich Nietzsche, cet important philosophe allemand du XIXe siècle. Dans une librairie, ce livre se retrouverait sur un rayon spécifique aux côtés d’oeuvres de son espèce bien encadré par d’autres philosophes. Ici, seul de son genre, il partageait cet espace avec des romans de divertissement du type qu’on oublie aussitôt lus et des biographies de gens riches et célèbres. Je l’ai ouvert au hasard de mes doigts et j’y ai lu une réflexion sur la beauté. Je vous en reparlerai un jour. J’ai décidé de rapatrier ce livre chez moi avec d’autres plus près de sa nature. Au prix de 2 $, le coût d’une petite boîte de Glosettes, il n’y avait pas à hésiter.

Contrairement à ce qu’on trouve dans les centres commerciaux, les objets hétéroclites d’une friperie ont tous une vie antérieure et une histoire. Des gens de milieux très divers les ont possédés et appréciés, ou pas. Qui a souligné certains passages du livre de Nietxche ? Un professeur, une étudiante ? Ou tout simplement une personne curieuse et ouverte sur le monde de la pensée et de la réflexion ? Qu’est devenue la jeune fille qui s’est résignée à se départir de sa robe de bal de finissante après le temps qu’il a fallu pour oublier ce premier amour perdu ?

Le grand bol en verre taillé venu d’une autre époque faisait-il partie des cadeaux de mariage d’une disparue et, depuis, a-t-il été abandonné à la friperie par des héritiers indifférents à sa beauté d’antan ? Tous les objets de cet étrange et curieux petit musée sont offerts à notre curiosité et se laisseront volontiers,  pour un prix dérisoire, adopter pour trouver une nouvelle demeure mais aucun ne livrera les secrets de cette vie d’avant la friperie.

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