Être confortable avec le mystère

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Par Denise Paquin

«Nous continuons notre aventure au sein de l’aventure cosmique, sans savoir où elles vont.» C’est la dernière phrase du dernier livre que vient de publier Edgar Morin à 95 ans. J’ai connu ce philosophe et sociologue lors de mes études supérieures à Paris. Ce grand intellectuel n’a cessé de nous forcer à réfléchir sur l’état du monde dans à peu près tous les domaines, de la pédagogie à la politique en passant par l’économie. Un esprit encyclopédique dans le sens où on l’entendait au siècle des Lumières. Son dernier ouvrage a pour titre : Connaissance, ignorance , mystère.(1) Si je vous parle de ce livre c’est à cause d’un coup de fil que j’ai reçu d’une inconnue dernièrement. Dès les premiers mots, j’ai su que j’avais affaire à une personne membre d’une secte religieuse connue par tous pour ses visites à domiciles dérangeantes (je m’efforce d’être poli dans le choix de mes qualificatifs ! ). La voix féminine me demande tout de go si j’aimerais que tout aille mieux dans le monde. Toujours poli, je lui réponds la seule réponse possible : «Ben,…oui !» Je venais de mettre son moulin à paroles en marche. J’ai eu droit au chapelet d’inepties habituelles sur le fait que tout irait bien si on s’en remettait à Dieu et à sa parole. Comme d’habitude, j’y ai perçu le refus de tout recours à la science ou à la connaissance humaine, l’être humain étant, selon elle et ses semblables, incapable de réparer ses erreurs. Comme vous l’avez peut-être expérimenté en vous risquant dans un échange avec eux, ces gens disent avoir toutes les réponses à toutes les questions en se repliant sur la toute-puissance de Dieu dans tous les domaines et indépendamment de notre volonté. Ce langage de fermeture me ramène à chaque fois au petit catéchisme de mon enfance qui avait réponse à tout. Ce à quoi Morin nous convie au soir de sa vie, c’est l’acceptation de l’absence de réponse à certaines questions. Il nous rappelle que plus on avance sur le chemin des connaissances, plus on mesure l’ampleur de notre ignorance. Il écrit ceci : l’allumette qu’on allume dans le noir ne fait pas qu’éclairer un petit espace, elle révèle l’énorme obscurité qui nous entoure. C’est dans cette obscurité que loge le mystère. Celui-ci ne devrait pas être source d’angoisse mais bien un encouragement à allumer d’autres allumettes. (1) Fayard, 2017, 184p.

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