Le commun des mortels

Photo de Denise Paquin
Par Denise Paquin

Il ne lui reste que quelques jours à vivre. C’est ce que les médecins lui ont dit. Allongé dans un lit à l’unité des soins palliatifs, il a peur. Une infirmière lui tient la main pour apaiser cette peur. Elle lui parle doucement . Elle sait les mots qui font du bien. Des mots nouveaux aux oreilles de celui qui va mourir. Lui qui toute sa vie n’a jamais pensé à la mort. Au point de se voir immortel . C‘est le propre des puissants. Même dans le regard des sans-grade, il apparaissait comme un demi-dieu, du genre immunisé contre une gastro quelconque. Toute sa puissance venait du fait qu’il était très riche. Milliardaire. Toute sa vie il a obtenu ce qu’il a voulu. Tout s’achète : c ‘était son crédo. Dans la dernière année, il a gagné 250 fois le salaire annuel de l’infirmière qui lui tient la main. Il a toujours cru qu’il méritait ce salaire. C’est d’ailleurs ce que ses semblables lui répétaient. Entre riches, la solidarité est exemplaire : le salaire de l’un inspire le niveau de salaire de l’autre. Mais quand on leur dit que c’est aussi la philosophie syndicale, à savoir que la hausse de salaire des uns entraîne la hausse de celui des autres, il écarte ce rapprochement en se réfugiant dans la thèse du mérite. Apprenant qu’il va mourir comme le plus commun des mortels, il se sent désarmé et pauvre. Toute sa fortune ne pourra lui acheter le privilège de voir le prochain été. Seul et démuni devant la mort, il découvre la vraie richesse : les gestes, les mots et le sourire bienveillant d’une infirmière. Ses millions ne lui sont d’aucun secours, il sont devenus purement virtuels. Seuls sont réels les bourgeons qui se gonflent dans les branches de l’arbre qu’il contemple dans la fenêtre de sa chambre. Il lui a fallu une mort annoncée pour comprendre que la valeur d’une vie ne se calcule pas dans le cabinet d’un comptable, pour comprendre qu’aucun des millions qu’il possédait n’aurait été possible sans les milliers de gens qui lui ont permis de les amasser, pour comprendre que ces milliers de personnes n’avaient peut-être pas, à l’instar de son infirmière, eu le salaire qu’elles auraient mérité. Il va sans dire que, dans le texte qui précède, toute ressemblance actuelle ou future avec un réel milliardaire ne serait que pure coïncidence et le fruit du hasard.  

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