Une Portneuvoise a contribué au jeu vidéo Assassin’s Creed «Origins»

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Par Denise Paquin
Une Portneuvoise a contribué au jeu vidéo Assassin’s Creed «Origins»

L’historienne Évelyne Ferron ne joue pas aux jeux vidéos. Ce n’est donc pas pour ses talents de «gamer», mais plutôt pour sa connaissance de l’Égypte ancienne qu’Ubisoft l’a contactée il y a quatre ans. Si la 10e aventure d’Assassin’s Creed, intitulée «Origins», lancée l’automne dernier, obtient tellement de succès, c’est un peu à cause d’elle.

L’historienne Evelyne Ferron, de Deschambault-Grondines, a participé au lancement mondial de la 10e aventure du jeu vidéo Assassin’s Creed à Londre en octobre dernier. Photo – Ubisoft
À l’instar de plusieurs autres spécialistes, la professeure d’histoire de l’Antiquité à l’Université de Sherbrooke et résidente de Deschambault-Grondines a contribué, dans le plus grand secret, à la création du jeu. Son voeu de silence a été levé lors du lancement mondial du jeu en octobre. Aussi connue pour ses talents de vulgarisatrice et sa contribution à des émissions de radio, de télé et à des magazines spécialisés, Évelyne Ferron a été appelée par Ubisoft à partager ses connaissances avec les concepteurs disséminés aux quatre coins de la planète. Nous lui avons posé quelques questions sur sa contribution. Est-ce que vous êtes une amateure de jeux vidéo? – Pas du tout! Je bouge avec la télécommande! Pour une spécialiste, ça ne change rien, ils m’ont choisie parce que je suis une grande vulgarisatrice. Il faut que le joueur ait une information qui est accessible. L’une des raisons pour lesquelles le directeur créatif de la marque Assassin’s Creed, Jean Guesdon, est venu me chercher il y a quatre ans c’est pour faire vivre le lieu à ses informaticiens et à ses designers. Ma branche était pile pour ce que le jeu allait couvrir. Vous avez dû maintenir durant quatre ans le secret sur votre participation à la conception du jeu? – On signe un contrat de confidentialité. Il ne faut pas que ça s’ébruite. Dans mon entourage, mon chum et mes parents l’on su, j’avais le droit. J’ai enseigné l’Égypte des pharaons à l’Université de Sherbrooke [à l’hiver 2017] et je n’ai pas pu le dire! Dans cet univers-la, le jeu était tellement attendu en plus. Les pirates informatiques font tout pour pirater Ubisoft. Quand ils nous envoient des documents, c’est par des logiciels hyper protégés. Ce n’est pas juste un grand secret, il ne faut pas que ça sorte, sinon le jeu n’a plus d’intérêt. Quelle est la trame historique du jeu? L’Assassin va vivre sa quête à travers la trame historique qui, elle, est réelle. Il y a trois personnages historiques principaux: Cléopâtre qui, en 49 avant Jésus-Christ, est en conflit politique avec son frère Ptolémée XIII. Pour monter sur le trône d’Égypte, elle a besoin de Jules César. L’Assassin, Bayek, a une quête. Il vient de l’oasis de Siwa. Ça m’a d’ailleurs troublée quand Ubisoft a fait appel à moi parce les oasis c’est ma spécialité, mais on ne parle jamais de ça dans les cours d’histoire égyptienne. Pourquoi Ubisoft fait-il appel à des spécialistes? – Ubisoft va chercher différents types de spécialistes, surtout cette fois-ci alors que ce n’était pas pour une ville, mais pour un pays complet. Comme ma spécialité c’est l’Égypte gréco-romaine et que ma maîtrise des hiéroglyphes est très sommaire, Ubisoft est allé chercher des égyptologues spécialisés en langues. Pour l’architecture, ils ont eu besoin d’architectes, parce qu’ils construisent un monde.
«Les monuments égyptiens dont on voit encore les ruines étaient en meilleur état, mais quand même très vieux à l’époque de Cléopâtre. Il y a plus de distance entre elle et les pyramides qu’entre elle et nous! Donc, les pyramides il fallait qu’elles soient usées», dit Évelyne Ferron. Photo – Ubisoft
Qu’est-ce que ça signifie comme travail de devenir consultante en jeu vidéo? – Ma job à moi était colossale. Le gros de mon travail dans les deux premières années a été de les aider à créer l’univers. Je faisais des conférences en anglais qui étaient filmées et envoyées à toutes les équipes qui travaillaient sur le projet à travers le monde. Il fallait que je leur explique c’était quoi l’environnement, les animaux, comment les gens vivaient à l’époque. C’était de leur faire comprendre aussi que les monuments égyptiens dont on voit encore les ruines étaient en meilleur état, mais quand même très vieux à l’époque de Cléopâtre. Il y a plus de distance entre elle et les pyramides qu’entre elle et nous! Donc, les pyramides il fallait qu’elles soient usées. Cela faisait partie de ma job de leur faire réaliser tout ça. Votre aide est aussi allée dans les détails? J’ai travaillé avec le directeur artistique et son équipe pour m’assurer que les tuiles sur les toits étaient plus grecques ou plus égyptiennes, qu’il y ait des différences entre les maisons des Égyptiens riches et des Égyptiens pauvres, celles des Grecs, celles des Juifs qui étaient à Alexandrie. Comment les maisons étaient décorées à l’intérieur? C’était énorme. Je répondais à toutes leurs questions par courriel. À la fin, je révisais les dessins préparatoires. Après ça, ils partaient avec ça et créaient leur jeu! Ensuite, quand ils avaient besoin d’un détail hyperspécifique, ils appelaient un musée pour l’avoir en 3D pour mieux le reconstituer. Ils tripent, eux, ils font de la recherche que même un historien n’a pas besoin. Où la voie du spécialiste se sépare-t-elle de celle du concepteur de jeu? Par exemple, quand ils vont faire un catalogue de tous les types de terre cuite, de toutes les couleurs de matériaux qu’on utilisait en Égypte. Moi je n’ai pas besoin de ça. Le concepteur en a besoin parce qu’il faut l’illustrer. C’est là où nous sommes très différents. Reste que la rigueur historique est assez impressionnante. Leur but c’est de créer un univers pour faire un déplacement. Il y a beaucoup d’anachronismes volontaires. C’est sûr qu’il y a des serpents géants qui sortent du sable. Il ne faut pas critiquer les historiens pour ça, c’est un jeu. Cela fait 10 ans qu’Assassin’s Creed existe, l’évolution de la technologie, le fait qu’ils aient attendu 10 ans pour le peaufiner, visuellement, de tous les jeux c’est le plus beau. Est-ce que ce type de jeu vidéo ou le fait de savoir que son professeur a participé à la conception d’un jeu peut susciter l’intérêt des étudiants pour l’histoire ? ­- Les jeunes découvrent l’histoire avec des jeux comme Assassin’s Creed parce qu’ils se positionnent dans l’histoire. À l’Université de Sherbrooke, on se rend compte que la demande pour certains cours vient de la télé, des jeux vidéo. J’ai proposé un tout nouveau cours à l’Université de Sherbrooke sur la guerre dans l’Antiquité parce qu’il y a une grosse demande. J’ai un collègue qui donne un nouveau cours sur les Vikings. Au cégep, les connaissances des étudiants en histoire sont vraiment de pire en pire, mais si je mentionne les Borgia, il y a deux ou trois gars qui vont lever la main et faire : «Oh! Yes!» Là ils embarquent parce qu’ils ont joué à Assassin’s Creed. C’est sûr que ça a un impact. L’Égypte c’est déjà hyper populaire, mais de leur faire vraiment vivre l’Égype antique à l’époque de Cléopâtre c’est sûr que pour nous c’est un gros avantage, autant les étudiants que le grand public vont comprendre enfin que Cléopâtre n’est pas égyptienne. Juste ça, c’est un bon gain. Trouvez-vous inspirant l’ajout du mode découverte? Ces jeux-là donnent l’envie aux jeunes d’apprendre. C’est ce qui arrive avec le «mode découverte» qui a été annoncé en primeur à Londres (voir autre texte). C’était une demande des enseignants. Utiliser un jeu en classe lorsqu’il y a toujours des combats, des dangers, c’est compliqué. Alors, Ubisoft a fait un mode à part dans lequel on peut visiter le monde sans jouer et où on apprend sur la momification, la grande bibliothèque d’Alexandrie, etc. Ce qu’il y a d’intéressant aussi c’est que souvent les parents regardent leurs jeunes jouer et ne comprennent pas tant que ça. Avec ce mode, ils peuvent s’asseoir et explorer avec le jeune. Ce n’est pas juste l’éducation pour les enfants c’est l’éducation pour la famille. Croyez-vous collaborer éventuellement à la conception d’un autre jeu? J’aimerais bien revivre l’expérience de conseillère, mais comme Ubisoft change toujours d’époque dans ces jeux et qu’ils font appel à des spécialistes hyper pointus, la possibilité est minime. Mais s’ils développent des jeux éducatifs, il y a des chances qu’on fasse des contributions ponctuelles.

Le nouveau jeu se déroulera en Grèce Les amateurs n’ont déjà pas terminé d’explorer «Origins» qu’Ubisoft a annoncé qu’un nouveau jeu à saveur historique , «Odyssey», qui se déroulera en Grèce, sera lancé cet automne.

     

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