Des maux pour le dire

par Robert Jasmin
Des maux pour le dire

Le titre de mon billet me vient de celui que j’ai lu hier dans mon mensuel préféré, Philosophie magazine. Il m’a rappelé un événement que j’ai vécu il y a plusieurs années lorsque j’étais conférencier bénévole une ou deux fois par année, pour l’organisme Solidarité deuil d’enfant. J’y témoignais de mon expérience et de mes réflexions car, comme tous les parents présents à ces rencontres, j’avais aussi perdu un enfant.

Dans la deuxième partie de ces soirées, les parents qui le désiraient pouvaient aussi présenter leur propre témoignage. Toutes les histoires étaient profondément différentes mais avaient toutes en commun de parler d’une absence pour laquelle personne n’est préparé. À travers le partage des expériences et des sentiments exprimés dans la douleur, on en venait au moins à briser le mur de la solitude qui avait enfermé les gens dans leur peine.

Un soir, lors d’une de ces réunions, un homme qui était venu seul à la rencontre, a observé un lourd silence tout au long de la soirée, assis au fond de la salle. À la fin, après que tous aient quitté, il s’avança vers moi pour me dire ce qui suit : «Vous avez devant vous un homme bardé de diplômes universitaires : je suis actuaire, ingénieur et informaticien. J’ai 39 ans et depuis deux ans, depuis la mort de ma fille de 9 ans, je ne suis plus que l’ombre de moi-même. Des amis m’ont conseillé de venir ici à cette rencontre. Ce soir, j’ai compris ce qui m’arrivait : j’ai compris que, malgré mes diplômes, je me suis retrouvé tout nu dans la tempête, démuni, sans mots pour exprimer ma peine».

Je lui ai demandé de s’expliquer.»Durant mes études collégiales, a-t-il dit, je côtoyais des étudiants qui lisaient beaucoup, au-delà de ce qui était requis, qui se passionnaient pour le théâtre, les oeuvres de fiction ou de poésie. Et je me disais que moi, j’étais sérieux, que j’avais une carrière à envisager et construire. J’ai compris ce soir que c’est eux qui avaient raison, que, si je me préparais à réussir dans la vie, eux se préparaient à réussir leur vie, que les mots qu’on trouve dans les histoires nous servent à dire la vie et la mort. Ce soir, je commence enfin à avoir les mots pour dire ce qui m’est arrivé.» Cet homme au coeur meurtri venait de comprendre que mettre des mots sur nos maux c’est déjà s’engager sur le chemin de la guérison.

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