Pierre Viens: coeur à coeur avec la mort

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Par Mathieu Hardy
Pierre Viens: coeur à coeur avec la mort

«Mourir est probablement la seule justice qui existe sur Terre…» Pour que l’adage soit plus vrai que faux, Pierre Viens, un médecin de Neuville qui a consacré la moitié de sa carrière aux soins palliatifs, espère encore être témoin du jour où notre société acceptera vraiment de regarder la mort en pleine face. Du jour où elle se donnera littéralement la liberté de s’endormir pour l’éternité en toute dignité plutôt que dans la souffrance existentielle. «Je conçois la mort comme étant le dernier acte de la vie. La mort fait partie de la vie et le dernier acte est peut-être le plus important. Je suis bien conscient aussi de l’importance primordiale de la qualité de la vie et du fait que c’est seulement la personne lucide et libre qui est à même de décider de la qualité de la vie et au moment où elle n’en veut plus de cette vie-là, qu’elle a le droit strict de demander à ce qu’on l’aide à partir de manière humaine et correcte», m’a-t-il répondu lorsque je lui ai demandé s’il se percevait comme un médecin qui était coeur à coeur avec la mort. Car c’est l’impression que j’ai eue en l’écoutant me raconter son long combat – presque celui d’une vie – pour l’avancement des soins d’aide médicale à mourir (AMM) au Québec et plus particulièrement dans Portneuf. C’est à la suite du décès de sa conjointe survenu après un combat contre le cancer, en 1990, que Pierre Viens, jusque-là dédié à la gestion des soins de santé à l’international, décide de changer de cap. «Là, j’ai vu clairement que j’étais destiné à m’investir beaucoup plus dans les soins palliatifs», se souvient-il. Pierre Viens a une conception révolutionnaire de la mort. Trop humble pour l’affirmer lui-même, mais assez généreux pour la partager dans le livre «Les visages de l’aide médicale à mourir» qu’il vient de publier aux Presses de l’Université Laval. La mort fait partie de son quotidien. Il vit bien avec le fait de la fréquenter du dimanche au lundi. Elle est pour lui un recommencement loin d’être routinier qu’il a apprivoisé à force d’accompagner des milliers de patients jusqu’à leur dernier souffle. L’absence du libre choix. C’est ça qui l’enrage. «On devrait avoir le droit de choisir le genre de mort qu’on veut», pense-t-il. Ce qui l’amène à affirmer cela, c’est sans doute l’histoire d’Hèlene L., cette patiente de 70 ans atteinte de la sclérose en plaques depuis 20 ans et qui rêvait d’obtenir ultimement l’AMM lorsqu’elle a fait appel à lui. Mais comme tous les autres médecins à qui elle a fait la demande, il n’a pu la lui consentir pour des raisons législatives. «On a fait un pacte elle et moi. Comme quoi je me désâmerais pour essayer vraiment de forcer la loi à prendre en considération ce que c’était, une vie humaine, et ce que c’était une non-vie humaine», a-t-il expliqué. Sa maladie ne la plaçait pas – encore – dans une situation de fin de vie biologique. Mais Hélène L. était fatiguée de se battre. Rusée même sur son lit de mort, elle a entrepris une grève de la fin et la soif, ne s’autorisant qu’à ingurgiter chaque jour un glaçon qu’elle laissait doucement fondre sur sa langue. Elle s’est éteinte l’été dernier après 14 jours de privation. Troublant, n’est-ce pas? Pierre Viens a été marqué à jamais par cette femme qui lui a donné une mission. «La veille de son décès, elle m’a dit: «je souhaite que ce que j’ai vécu serve le plus possible pour essayer d’arriver à une loi meilleure, plus juste et plus disponible à ceux qui en ont besoin. Si tu es d’accord, je te fais exécuteur de mon testament moral à ce niveau-là»», raconte-t-il, la gorge nouée. «J’ai essayé de démontrer que cette personne-là était en fin de vie… humaine». Bien malgré lui, il n’a pas réussi. Mais fonceur comme il est, Pierre Viens n’est pas pour autant résigné à abandonner. «À l’âge que j’ai, j’ai peut-être trouvé le dernier challenge de ma vie», constate-t-il. Le défi qu’il se donne est de contribuer sans prétention à une meilleure acceptation sociale de l’AMM. Pas qu’il soit contre les soins palliatifs, loin de là. Ce qui le dérange, c’est la soumission des malades à la souffrance existentielle. «La souffrance existentielle, c’est [ce que vit] une personne qui sait qu’elle va mourir, qui sait qu’elle ne peut pas guérir, qui sait que ça va être progressif, qui sait que chaque jour, il va y avoir des pertes, il va y avoir des indignités croissantes, des affaires qu’elle juge inacceptables pour elle», définit-il. Pierre Viens voit l’adoption de la loi québécoise sur l’AMM d’un bon oeil, mais il déplore qu’elle soit trop focalisée sur la composante biologique. «On dit dans la loi que pour avoir droit [à l’aide médicale à mourir], il faut être en fin de vie biologique», nuance-t-il. Il est aussi déçu de la pression exercée par les médecins en soins palliatifs qui se sont opposés à l’adoption de la loi avant d’y mettre leur grain de sel en apportant la notion de fin de vie. «Pourquoi ils ont ajouté ça? Pour s’assurer que la loi ne soit pas disponible pour la plus grande partie des malades, surtout ceux qui ont des maladies de dégénérescence. C’est un échec pour toutes les personnes qui n’ont pas le cancer», plaide-t-il. «Les médecins en soins palliatifs devraient être les premiers à comprendre le bien-fondé de cette loi-là et ce sont les pires opposants», rage Pierre Viens, qui rappelle que, partout dans le monde, moins de 5% des malades en phase terminale ont recours à l’AMM. «L’aide médicale à mourir est un immense changement dans notre société. C’est ce qui fait peur aux gens», avance Pierre Viens. «Quand les gens disent qu’avec l’aide médicale à mourir, on met le pied dans un génocide appréhendé, de dire ça, c’est de l’immonde démagogie», fait-il remarquer en connaissance de cause. La loi idéale, qui mettrait fin à la «peur irraisonnée et irrationnelle» de la société envers l’aide médicale à mourir s’inspirerait, selon lui, de l’arrêt Carter de la Cour Suprême. «La Cour suprême y définit c’est quoi l’aide médicale à mourir, qui devrait y avoir droit, tout ça tient en quatre lignes. Au point que toutes les conditions restrictives qui ont été imposées par le provincial et le fédéral sont à priori jugées anticonstitutionnelles», mentionne Pierre Viens. «L’aide médicale à mourir, c’est le cheval de Troie qui va arriver à faire changer une grande partie de notre concept social sur la vie et sur la fin de vie», m’a dit Pierre Viens, sur un ton convaincu. C’est grâce à des personnes comme lui que mourir deviendra peut-être, un jour, la seule justice à exister… Qui sait?

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