Christian Denis: le patrimoine avant l’homme

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Par Mathieu Hardy
Christian Denis: le patrimoine avant l’homme

C’est samedi, Christian Denis est en congé. Travail ou pas, le conservateur des Musées de la civilisation de Québec reste habité par sa passion : le patrimoine. Tous les jours depuis son enfance, il s’arrête pour réfléchir à la valeur du passé afin d’être sensible au présent. Le patrimoine passe-t-il avant l’homme? 

Ce matin-là, sa quête le mène au presbytère. Un joyau patrimonial bien gardé de son village d’adoption, plus besoin de n’en convaincre personne. En passant la porte, il s’y sent chez lui. Cherchant des yeux ce qui donne toute la richesse au lieu, il ralentit le pas, et scrute l’architecture dans ses moindres détails. Admirant l’abondance des petits riens qui font toute la différence, il s’assoit devant la fenêtre qui donne sur un autre bijou du patrimoine bâti de Grondines : l’église Saint-Charles-Borromée.

À l’origine

«La culture et le patrimoine ont toujours fait partie de moi», dit celui qui se perçoit comme une courroie de transmission. Christian aborde sa jeunesse, des plus banales. Sauf pour un détail. «Ma mère a eu un l’hôtel Windsor, à Saint-Alban, ce qui fait que j’ai grandi sur la place publique», explique-t-il. Sensible à l’histoire des clients, il fait des rencontres marquantes. Il a 13 ou 14 ans – il ne sait plus vraiment – lorsqu’il commence à collectionner des trésors patrimoniaux. Quarante ans plus tard, le petit bonhomme de Saint-Alban le suit toujours.

L’engagement

Christian Denis se plait à dire qu’il est un gars de région. Ses engagements le prouvent. Dans les années 1980, l’ethnohistorien nouvellement diplômé fonde le regroupement des Amis du Moulin. C’est là que s’amorce son «devoir de mémoire». Avec la communauté, il multiplie les actions pour éviter que Grondines soit perçue comme un village tampon entre deux régions. «Il fallait faire quelque chose pour redonner vie aux quatre siècles de notre architecture», affirme-t-il, les yeux étincelants de passion. Les années passent, les projets grandissent.

En 1996, il s’engage en politique municipale et prend en charge la question du patrimoine. Vingt ans après, il est encore celui qui mène ces dossiers. Fort d’une grande expertise, il s’investit dans l’ouverture du centre d’interprétation du Chemin du Roy et dans l’élaboration du sentier de la Fabrique, une terre dont la valeur est inestimable à ses yeux. «C’est devenu le trait d’union historique entre le fleuve et le village», illustre-t-il.

L’homme de terrain est à l’image de l’idéateur : imaginatif, novateur et visionnaire. En 2005, il dépose la Politique culturelle de Deschambault-Grondines, l’une des premières à être adoptée à l’échelle de la MRC. Il en fait sa fierté. «Presque dix ans plus tard, nous avons réalisé 90% des projets énumérés», recense-t-il.

Parce qu’il a consacré plus de 25 ans de son quotidien à la sauvegarde les différentes formes du patrimoine tout en les faisant connaître, le jury des 5es Prix du patrimoine lui a décerné, au printemps 2013, le prix de l’Engagement culturel. «Je l’ai reçu humblement; je me dis que ça va accroître la visibilité de notre culture et de notre patrimoine», a-t-il souligné.

Thérèse Sauvageau et cie…

Au-delà des lieux, il y a l’art populaire. Depuis qu’il travaille en muséologie, Christian se dévoue pour la reconnaissance des créateurs d’ici. Thérèse Sauvageau, «sa mémorialiste» par excellence, l’a marqué avec son oeuvre monumentale alliant la peinture et l’écriture. Même effet pour le sculpteur animalier de Saint-Ubalde, Wilfrid Richard. «Les tableaux de Thérèse ont été acquis par le Musée et les sculptures de Wilfrid sont en voie d’être cataloguées dans le Répertoire du patrimoine culturel du Québec», achève-t-il. «Ah oui! La tisserande Micheline Beauchemin, le peintre et sculpteur Roland Beaudet… Il ne faut pas les oublier non plus», continue-t-il en se consentrant pour penser à tout le monde.

«Il faut absolument que la mémoire de nos artistes soit intégrée au patrimoine», plaide-t-il. Le contraire est pour lui inconcevable. C’est pourquoi il s’est battu pour que soit nommée une rue en l’honneur de Thérèse Sauvageau, à Grondines, en 2008.

C’est samedi, Christian Denis est en congé. Son regard quitte l’église qu’il a longtemps contemplée à travers les carreaux. En partageant sa vision du patrimoine, il ne s’est pas donné le droit au silence. Lorsque ses yeux partent à la dérive et s’adonnent secrètement à la recherche de l’authenticité…

Le patrimoine passe avant l’homme, sans doute.

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