Le bon et le mauvais (suite): 2. Jeter le bébé avec l’eau du bain

Photo de Denise Paquin
Par Denise Paquin

La performance de Tom Cruise dans le film Magnolia l’avait propulsé très haut dans mon palmarès des grands comédiens. Lorsque j’ai appris qu’il était membre de l’Église de Scientologie, il est tombé bien bas dans mon estime. Mais je ne pouvais oublier son jeu magnifique dans Magnolia. Il m’a fallu faire la part des choses : il y avait d’un côté, l’homme, adepte d’une secte et de l’autre, un grand comédien. Son égarement idéologique n’allait pas effacer son oeuvre de comédien. Une de mes grandes découvertes en littérature fut le grand roman de Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, considéré comme une oeuvre majeure du XXe siècle. Pourtant Céline s’est révélé un antisémite. Son oeuvre devenait-elle abjecte pour autant ? Je ne le crois pas. En apprenant que Wagner aussi avait sombré dans l’antisémitisme, je n’allais pas faire une croix sur sa musique qui était aussi belle avant qu’après cette connaissance de la part sombre du créateur. Paul Gauguin a quitté femme et enfants pour se consacrer à sa passion, la peinture. En Polynésie, où il passa les vingt dernières années de sa vie, il eut une relation avec une fille de 14 ans alors qu’il en avait 43. Ce comportement typique de la mentalité coloniale de l’époque doit-elle altérer notre jugement sur son oeuvre ? Pourquoi la partie sombre de la vie d’un créateur effacerait-elle la part lumineuse ? Plus près de nous, doit-on oublier l’oeuvre considérable de Woody Allen ou de Roman Polanski ? Et de Claude Jutra ? Devrait-on retirer des répertoires, Kamouraska et Mon oncle Antoine, comme on a retiré son nom des places publiques du Québec ? Si nous devions effacer de la mémoire collective les oeuvres littéraires ou artistiques des auteurs qui ont eu une vie immorale, notre patrimoine mondial se réduirait comme une peau de chagrin. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Et surtout, ne jouons pas les Tartuffe : il y a en chacun de nous, une part inavouable. Du bon et du mauvais. Dans le film Rouge de Kieslowski, un vieux juge à la retraite avoue avoir déjà déclaré innocent un voleur qu’il savait coupable. Son intuition ne l’avait pas trompé : cet homme qui lui paraissait bon se mariera et élèvera une famille exemplaire. Le bon dans cet homme aurait-il survécu à une peine de prison? Il faut se résigner à vivre avec des questions sans réponse.

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