Aux yeux de la philosophe française Simone Weil, » l’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. » C’est ce besoin d’enracinement que la cinéaste Nadine Beaudet, qui habite maintenant Grondines, explore dans son film Manicouagan qui a tout récemment pris l’affiche dans quelques cinémas de la province.
Le 6 juin dernier, Nadine Beaudet resplendissait de joie alors qu’elle présentait, en avant-première au cinéma Cartier de Québec, Manicouagan, dans lequel elle explore un thème puissant au cinéma tout comme en littérature : le sentiment d’appartenance au territoire.
Aimer profondément la Côte-Nord
Originaire du petit village de Pointe-aux-Outardes, près de Baie-Comeau, Nadine Beaudet résume l’approche qu’elle a empruntée dans la réalisation de son dernier film : » Je suis née dans ce pays de nordicité, sur la péninsule de Manicouagan… Ma relation intime à ce territoire est puissante et à l’image d’une histoire d’amour. C’est d’ailleurs ce qui a guidé ma démarche pour mettre au monde ce film « .
Appartenir au Nitassinan
L’anthropologue québécois Rémi Savard, qui a travaillé avec les Innus, a montré que pour les autochtones, le territoire constitue d’abord un réseau de relations, en contraste avec la notion de propriété privée. Autrement dit, que pour les Premières Nations, il ne s’agissait pas de posséder la terre, mais bien d’appartenir à la terre.
Les Innus de Pessamit, à qui Nadine Beaudet donne la parole dans son film, y expriment avec nostalgie le sentiment de dépossession qui les habite encore, plus d’un demi-siècle après l’ennoiement (la submersion sous l’eau) d’une grande partie de leur territoire ancestral, le Nitassinan. Il importe de savoir que cette inondation, amorcée en 1968 et terminée en 1978, a fait monter le niveau de la rivière Manicouagan de plus de 130 mètres, créant le réservoir Manicouagan d’une superficie de 1 950 km2, lequel alimente les turbines du barrage Daniel-Johnson (Manic 5), mais qui a aussi inondé de nombreux lieux de campements innus.
Le réservoir Manicouagan. À droite, les taches blanches sont les monts Groulx. Photo : Libre de droit
Personnages hors du commun
Le long métrage Manicouagan nous mène aussi à la découverte de deux hommes qui ont décidé d’habiter et de se laisser pleinement habiter par le territoire des monts Groulx. Originellement nommé Uapishka par les Innus − ce qui signifie » sommets blancs » −, ce massif de montagnes se situe à 100 km au nord de Manic 5.
Michel Denis habitait dans la maison qu’il avait lui-même construite, au cœur de ce massif montagneux. Il est décédé à l’âge de 79 ans, peu de temps après que la caméra de Nadine Beaudet eut saisi certains de ses moments de vie. Il est connu pour être l’un des trois pionniers qui ont ouvert la voie aux excursionnistes des monts Groulx. Il a, tout au long de sa vie, travaillé à la découverte et à la protection de cette chaîne de montagnes.
Quant à Guy Boudreau, il a pris la relève de Michel Denis, en tant que responsable des Amis des monts Groulx. Il agit aussi en tant que guide-formateur d’expéditions dans ces lieux d’une beauté remarquable.
Dans le film, tant Michel Denis que Guy Boudreau témoignent de leur profond attachement à cette contrée du Nord québécois.
Nadine Beaudet en plein tournage du film Manicouagan. Photo : Page FB de Manicouagan
Montrer à nouveau la Côte-Nord
Dans une entrevue qu’elle a donnée à la cinéaste Geneviève Allard, pour le groupe Réalisatrices équitables, Nadine Beaudet confie qu’elle n’avait pas auparavant, dans son parcours de cinéaste, osé s’intéresser à son coin de pays d’origine, » à là d’où je venais parce que ça faisait vibrer trop de choses « . Puis, dans un éclat de rire rempli de joie, elle ajoute : » Maintenant, la porte est ouverte. J’ai juste envie de poursuivre, j’ai plein d’idées qui se tournent vers cette belle région qui m’habite énormément « .
Voir Manicouagan à Saint-Casimir
C’est par la projection du film Manicouagan que s’ouvrira le Festival des films pour l’environnement, à Saint-Casimir, le 6 août prochain. Une occasion à ne pas rater pour voir cette très belle réalisation de Nadine Beaudet et échanger avec elle.