La peur des livres

par Robert Jasmin
La peur des livres

En 1967, en Grèce, le berceau de la civilisation occidentale et de la démocratie, un coup d’État militaire instaure une dictature qui sévira pendant sept ans. Le premier geste du régime des colonels fut d’interdire la publication, la vente ou la possession de livres d’une longue liste d’auteurs, dont les plus grands philosophes. J’ai assisté à Paris en 1969 à la sortie du film « Z » de Costa-Gavras qui raconte les événements qui menèrent à la prise du pouvoir par les colonels. À la fin du film, le cinéaste fait défiler sur l’écran la liste des auteurs interdits. C’était suffisant pour couvrir de ridicule ces colonels dont la bêtise n’avait d’égale que l’ignorance.

Cette semaine la revue américaine Commentary  dresse le bilan des livres récemment interdits aux États-Unis dans des milliers d’écoles et de bibliothèques publiques : dans l’année 2021-2022, 2 532 titres ; dans l’année 22-23, 3 362 titres et dans l’année 23-24, 10 046 titres. Certains de ces titres évoquent la période de l’esclavage d’autres, comme « Nineteen minutes », développent une réflexion sur les sources et les conséquences d’une tuerie dans une école. Des Conseils scolaires ont même interdit un livre sur l’empathie ! Le président-criminel Trump songe déjà à en finir avec la chaîne MSNBC qui présente des auteurs pour nous éclairer sur le sens des conflits ou de la politique en général.

Mais l’autocrate américain n’aura pas à interdire lui-même les livres (de toute façon, il ne lit jamais de textes qui comptent plus de trois pages, selon ses collaborateurs), ses émules ont déjà pris le pouvoir dans les conseils scolaires ou municipaux des États trumpistes . C’est souvent le fait de fanatiques religieux hypocrites qui n’ont même pas lu les livres qu’ils interdisent. L’autrice de « Nineteen minutes » déclare que ses livres sont interdits « parce qu’ils encouragent les gens à penser par eux-mêmes et cela est très dangereux ! ». Elle ajoute : « le point commun de tous ces livres interdits c’est le développement de la pensée critique. »

De tout temps, les autocrates et les dirigeants religieux ont eu peur des livres, car ils ont peur de la réflexion et des débats. Ils affichent la faiblesse de leurs pensées ou de leur idéologie en refusant de les confronter au réel ou à des idées différentes. C’est par les mots que les idées cheminent et c’est dans les livres qu’ils s’inscrivent plus durablement que dans la pierre. Les philosophes grecs ont survécu à leur interdiction, mais pas les colonels.

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