La libraire et le médecin

par Robert Jasmin
La libraire et le médecin

La semaine dernière, j’apprenais le décès, à 87 ans, d’Andrée Ferretti. Elle fut écrivaine et surtout militante, toute sa vie, pour l’indépendance du Québec. Je l’ai connue lorsque j’étais étudiant et qu’elle était libraire à Montréal. Elle me disait que sa librairie était constamment sous surveillance, gracieuseté de la GRC. C’est là que j’ai fait connaissance avec des auteurs qui ont marqué ma vie, notamment Pierre Vadeboncoeur, écrivain et syndicaliste, et Albert Memmi, qui m’a appris la nature de mon état de colonisé.

Henri Bellemare était médecin et notre voisin lorsque j’habitais chez mes parents. Je l’ai connu alors qu’il empruntait notre grand terrain pour apprendre le baseball à ses trois filles. Il connaissait mes convictions indépendantistes et, aux élections de 1966, sa curiosité l’a poussé à me demander s’il pouvait m’accompagner lors d’assemblées de cuisine organisées dans le cadre de la campagne du RIN, le Rassemblement pour l’indépendance nationale, qui a été le premier parti indépendantiste du Québec. Un soir, dans la cuisine d’une famille d’un quartier pauvre, le père, un chômeur nous dit : « Ce qu’il nous faudrait, c’est une bonne guerre, ça crée de l’emploi ». Henri Bellemare est sorti bouleversé de cette rencontre et m’a fait part de son ignorance de la vraie vie et d’un système aussi générateur d’injustices : « Indique-moi ce que je dois lire pour comprendre. »

Le lendemain, je l’ai emmené à la librairie où travaillait Andrée Ferretti. Il a fait provision d’une caisse de livres qu’Andrée Ferretti et moi lui avons recommandés. Il a ensuite consacré toutes ses vacances à la lecture. Je l’ai quand même vu prendre quelques heures pour jouer au baseball avec ses filles. Par la suite, j’ai quitté le Québec pour des études en France et je n’ai jamais revu Henri Bellemare, mais j’ai su qu’il avait ouvert la première clinique médicale populaire dans un quartier défavorisé à Montréal.

En octobre 1970, Pierre Elliott Trudeau, dans un geste digne des pires républiques de bananes, décrète la Loi des mesures de guerre puis envoie sa police arrêter et incarcérer 500 personnes innocentes et cela, dans une seule nuit. Parmi ces personnes : Andrée Ferretti, libraire, et Henri Bellemare, médecin – incarné par le comédien Guy Provost dans le film Les ordres.

Cela fait cinquante-deux ans ce mois-ci. Et jamais depuis le gouvernement du Canada n’a offert ses excuses. Pourtant, le fils Justin est passé maître en matière de don d’excuses. Il est vrai que dans ce cas, l’injustice ne visait que des Québécois.

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