Conte de Noël: Marika et le Marché du Noël d’antan

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Par Johanne Martin
Conte de Noël: Marika et le Marché du Noël d’antan
Marika, qui visitait tous les ans le Marché du Noël d’antan de Cap-Santé avec sa grand-mère, y avait acheté ses cadeaux et se réjouissait déjà de pouvoir les offrir. Photo – Archives

Les décorations d’Halloween venaient de céder leur place aux ornements de Noël. La neige allait bientôt recouvrir de son manteau blanc la grisaille de novembre. Derrière la fenêtre de sa chambre, en compagnie de son chien Ludo, Marika songeait qu’il lui faudrait une fois de plus traverser tristement cette période de l’année. En ce petit matin frisquet et sans soleil, encore en pyjama, elle se rappelait le tragique accident de voiture dans lequel grand-maman Annette avait péri et qui avait condamné sa mère, Corinne, à se mouvoir en fauteuil roulant.    

C’était il y a deux ans, le 24 décembre. Toutes trois avaient pris la route en fin d’après-midi pour aller réveillonner à Rimouski, chez tante Agathe. Une tempête était annoncée, mais le joyeux trio avait tout de même quitté Portneuf, croyant pouvoir se rendre à destination avant que le vent et l’abondance de flocons ne compliquent leur déplacement. Marika, qui visitait tous les ans le Marché du Noël d’antan de Cap-Santé avec sa grand-mère, y avait acheté ses cadeaux et se réjouissait déjà de pouvoir les offrir. La nuit était tombée, la visibilité était très rapidement devenue nulle, puis il y avait eu cette sévère collision avec un poids lourd…

– Marika, tu dois te préparer pour l’école. L’autobus va passer. Tu n’as pas oublié? Il y a une activité spéciale dans ta classe aujourd’hui.

– Oui maman, je m’habille et j’arrive…

En enfilant ses vêtements, la fillette avait aussi brièvement pensé à son père, disparu lors d’une expédition de pêche et dont elle ne conservait que peu de souvenirs. Quand le drame s’était produit, elle n’avait que quatre ans. Marika retenait surtout de l’événement la profonde détresse et les pleurs incessants de sa mère, qui avait eu beaucoup de mal à s’en remettre.

***

Madame Valérie avait disposé sur chacun des pupitres des articles de bricolage. La cloche avait sonné et les enfants retiraient bottes et manteau, surexcités à l’idée de fabriquer une boule personnalisée qu’ils pourraient éventuellement placer dans leur sapin de Noël. Même si elle n’avait pas le cœur à la fête, Marika souhaitait profiter de l’occasion pour honorer sa grand-mère. Dans l’une des poches de sa salopette, elle avait glissé une photo d’Annette, bien décidée à l’utiliser pour confectionner sa boule, qu’elle accrocherait dans sa chambre.

Sourire aux lèvres, M. Garceau, déguisé en lutin, donnait quelques trucs tout en répondant aux questions des élèves de 5e année. Dans la lune, au fond de la salle, Marika avait cessé son travail de création. Elle se revoyait, tenant d’une main son chocolat chaud et serrant de l’autre celle de sa grand-mère, déambulant à travers les maisonnettes colorées du marché de Noël. Les odeurs de pain d’épice, le majestueux arbre illuminé, les chansons folkloriques sur la scène extérieure, les crèches dans l’église, l’offre foisonnante des exposants, les jeux de l’espace famille : dans sa rêverie, elle s’y trouvait et cette féérie lui manquait terriblement.

– Tu me sembles bien loin… Aimerais-tu que je t’aide à finaliser ton chef-d’œuvre? Mais je te reconnais ! Tu t’arrêtais chaque année à mon kiosque pour acheter une breloque en bois. Tu me disais que c’était pour ta mère, ta tante, ta grand-mère… Et même si tu n’avais pas toujours assez d’argent, ton enthousiasme et ta générosité faisaient tellement plaisir à voir !

M. Garceau avait remarqué la photographie d’Annette sur l’ornement. Croisant le regard de l’homme, Marika avait spontanément eu le goût de se confier à lui, de partager son chagrin.

– Je ne vais plus au marché parce que ma grand-mère est morte dans un accident d’auto. C’est avec elle que j’y allais depuis que je suis petite. C’était notre sortie à toutes les deux. Maman est en fauteuil roulant et ne veut plus fêter Noël.

– Il n’y a pas de décorations chez toi? Pas de célébrations en famille?

– Non, mon père n’est plus là non plus. Pendant le temps des Fêtes, je joue avec mon chien Ludo.

Ébranlé par l’histoire de la fillette, M. Garceau avait attendu que les enfants quittent la classe pour s’adresser à l’enseignante. Une idée avait germé dans son esprit. Si le plan qu’il avait commencé à imaginer fonctionnait, il organiserait une veille de Noël inoubliable pour Marika.

***

Trois jours avant le réveillon, en fin de journée, le téléphone avait sonné chez Corinne. Mise dans le coup par son lutin d’un jour, Madame Valérie venait tout juste de voir Marika monter dans l’autobus. Le congé des Fêtes s’amorçait et elle espérait le meilleur pour la jeune fille.

– Bonjour Corinne ! Ici Valérie, l’enseignante de Marika. Il y a quelques semaines, un atelier de fabrication de boules de Noël a eu lieu dans la classe. M. Garceau, notre invité, a apporté ce midi une enveloppe à remettre dans le sac de chaque élève. Je viens de constater que celle de votre enfant est restée sur mon bureau. Serait-ce possible de passer vous la porter?

Un peu à contrecœur, Corinne avait accepté.

Vêtu de son costume, M. Garceau, en l’absence de Marika, s’était présenté au domicile de la mère et de la fillette. Il avait réussi à dérider Corinne, parvenant finalement sans trop de difficulté à la convaincre de le suivre dans son projet. Celle-ci avait même été charmée par ce veuf sans enfant empreint de bonhommie, y voyant un père et un grand-père d’adoption.

***

Les bras chargés de victuailles – l’exposant du Noël d’antan n’était pas seulement un habile artisan, il avait aussi une réputation de cordon-bleu –, M. Garceau avait frappé à la porte de Corinne et Marika vers 22 h. Après avoir installé et garni le sapin entreposé au sous-sol de la maison depuis trop d’années, il avait mis la table, y disposant quantité de mets alléchants.

À son réveil, à minuit, la fillette avait découvert, suspendue dans l’arbre, la boule à l’effigie d’Annette. Au pied de celui-ci trônait une exquise reproduction en fines lamelles de bois des maisonnettes du marché de Cap-Santé. Attachée à l’aide d’un joli ruban rouge, Ludo portait à son cou la carte du lutin qui avait pris place à ses côtés par un sombre matin de novembre.

Marika lut les mots qui y étaient inscrits :

« L’an prochain, et tous ceux qui suivront tant que tu le voudras, il me ferait très plaisir que tu sois présente au kiosque du Marché de Noël de M. Garceau. Joyeuses Fêtes Marika ! »

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