Chez l’agent de voyance

Photo de Robert Jasmin
Par Robert Jasmin

J’ai beaucoup de chance ! En moins d’une semaine, j’ai reçu trois appels téléphoniques de sources différentes au cours desquels j’apprenais que j’étais l’heureux et unique gagnant d’une heure de consultation gratuite dans un cabinet de voyance. Au bout du fil, une voix, toujours féminine, défile son boniment . Poli, je la laisse au moins finir sa phrase. Avec un ton de compassion je lui dis que chacun doit bien gagner sa vie et qu’elle fait un travail somme toute pénible si elle considère tous les raccrochages au nez qu’elle subit dans une journée J’imagine alors que cette téléphoniste se console en disant qu’elle ne vend que sa voix alors que d’autres… Que voila un dilemme difficile à trancher ! Doit-on condamner les arnaqueurs qui font fortune sur le dos et la crédulité des pauvres gens ou plutôt sympathiser avec les personnes seules qui sont prêtes à donner leur cinquante ou soixante dollars pour échanger avec une inconnue pendant une heure. Si on s’attarde à ce dernier volet, on doit espérer qu’à deux, ils se donnent la peine d’élaborer un roman qui se tienne, un roman à faire au moins rêver quelque temps, un roman dont le contenu dépasse en hauteur une question du genre : « Est-ce que je devrais changer de tondeuse ? ». Si vous tenez et consentez à consulter, mettez-y du vôtre ! Planez dans les hautes sphères de l’amour, de la jalousie, des possibles triangles amoureux dont vous seriez le héros. Ne lésinez pas sur l’invraisemblance et tant qu’à faire un voyage dans l’avenir, assurez-vous que ce voyage soit confortable tant psychiquement que pécuniairement. Servez-vous de cette consultation gratuite pour initier votre roman avec le voyant mais résistez à lui laisser le contrôle de la suite en acceptant un autre rendez-vous. Vous n’avez pas besoin de l’imagination de l’autre pour continuer votre roman. J’ai reçu d’une amie, l’histoire qui suit, une histoire à la fin heureuse : Donald Trump consulte une voyante. Celle-ci, très concentrée, ferme les yeux et lui dit : « Je vous vois passer sur un grand boulevard, dans une belle voiture noire, le toit ouvert, le peuple applaudit. La foule est heureuse comme jamais. Des personnes courent après la voiture. Les gens chantent et crient des mots d’espoir : « maintenant, tout ira mieux ! » À ces mots, Trump se gonfle de joie et demande à la voyante : – Et moi, comment je réagis à tout cela ? La voyante répond : Je n’arrive pas à voir, le cercueil est fermé !

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