Exposer les enfants

Photo de Denise Paquin
Par Denise Paquin

Quelques jours avant Noël j’écoutais distraitement des extraits de l’opéra Lucia di Lammermoor. Je dis distraitement car mon attention était plutôt du côté du four et des casseroles. Ma fille de trois ans s’affairait à une forme quelconque avec sa pâte à modeler. Je l’entends alors me dire : « Papa, c’est très beau ce que la dame chante ! » J’ai écouté, c’était l’air de la folie de Lucia. J’ai répondu : « Tu as raison, c’est très beau .» Dans les minutes qui ont suivi, la mémoire de ma propre enfance m’est revenue. Je me suis revu, assis avec mes frères sur la banquette arrière de l’auto familiale avec mon père au volant et ma mère à ses côtés. C’était un samedi après-midi et, comme c’était souvent le cas lors de ces « tours d’auto », mes parents écoutaient l’opéra en direct du Metropolitan de New York offert par Texaco. Au moment des grands airs connus, nous savions qu’il fallait cesser de parler. Alors, malgré nous, nous écoutions. Plus tard, j’ai compris que nous avions été exposés à l’opéra. Mon attirance et mon amour de cet art remontent à cette exposition. Le dictionnaire et nos habitudes donnent à l’expression exposer quelqu’un à quelque chose, un sens plutôt négatif et quand il s’agit d’un enfant on l’utilise pour dire de celui-ci qu’il est exposé à un péril ou un danger quelconque. Pourquoi ne pas lui donner un sens positif ? Ne pourrions-nous pas exposer un enfant à la beauté, à l’art? Quoi qu’on fasse, nos enfants ne sont-ils pas toujours exposés à entendre et à voir des choses malgré eux, malgré nous? Ne sont-ils pas à la merci des machinations mercantiles des faiseurs de modes, que celles-ci soient musicales, vestimentaires ou occupationnelles  Ne sommes-nous pas naïfs de croire que les enfants sont toujours libres de leurs choix? Ne pourrions-nous pas leur offrir un environnement culturel alternatif pour qu’il y ait exercice par eux d’un choix un jour? Je le crois. L’accès à la culture n’a jamais été aussi facile. Si on le désire. Mes parents auraient été ravis de pouvoir entendre et écouter leurs airs d’opéra à n’importe quelle heure du jour sur YouTube (1) ou simplement en ouvrant la télé à un de ces postes sans images de musique continue. Ils me diraient sûrement que nous sommes privilégiés d’être exposés de la sorte à la grande musique, celle qui survit au temps. (1) Si l’intérêt vous y pousse : sur YouTube : natalie dessay air de la folie.    

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