La sagesse d’une femme

À la fin des années ’60, alors que j’étais étudiant québécois à Paris comme 1 200 de mes compatriotes, j’ai fait la connaissance d’un étudiant algérien avec lequel je me suis lié d’amitié. Tout au long des deux ans au centre de recherche universitaire, j’ai eu l’occasion de dîner avec lui et d’autres maghrébins à de très nombreuses reprises. Il me parlait surtout de la situation dans son pays qui venait de conquérir son indépendance. Jamais nous n’avons parlé de religion et nous n’avons jamais senti la nécessité d’en parler. C’est seulement vers la fin de mon séjour, alors que je lui faisais part de la révolution tranquille en cours au Québec que nous avons abordé la question religieuse en comparant nos deux sociétés. Je ne connaissais évidemment pas grand chose à la religion musulmane mais assez pour lui demander si sa soeur, de quelques années son aînée et mère de deux enfants, portait le voile. «Non», m’a-t-il dit en souriant, «elle considère qu’être croyante n’est pas une affaire publique ou vestimentaire mais une relation intime avec Dieu». Voici ce que dit ma soeur, a-t-il ajouté: « Nous, les musulmans, nous prions chaque jour en disant que Dieu est grand. S’il est grand comme on le croit, alors comment peut-on penser qu’il s’intéresse à la manière dont on est vêtus. Dieu n’est pas le gardien d’un ordre vestimentaire ou alimentaire. Il ne faut pas rapetisser Dieu ! ». Que l’on soit croyant ou incroyant on ne peut qu’avoir un grand respect pour une personne qui tient un tel langage de sagesse. Quant à mon ami algérien, je n’ai jamais su s’il était croyant. Pour moi, il était un ami et cela me suffisait. Je ne sais ce qu’il est advenu de lui et de sa soeur. Je me suis grandement inquiété vingt ans plus tard au moment où les hordes assassines du GIA (Groupe islamique armé) ont plongé le pays dans l’horreur et le sang. C’est à cette époque que des personnes comme Djemila Benhabib ont trouvé refuge au Québec après avoir fui l’intolérance islamiste la plus abjecte. C’est la même Djemila Benhabib qui n’a pu, la semaine dernière, participer à une table ronde sur la laïcité à la Maison de la Littérature. On a annulé et reporté cette rencontre car on craignait la présence de certains musulmans qui ne lui pardonnent pas de lutter pour une société laïque.

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